Contre le contrat première embauche (CPE)
Le contrat “première embauche” n’est pas une réponse pragmatique à un problème circonscrit (la question du "chômage des jeunes"), mais participe d’une logique de mise en concurrence des salariés les uns avec les autres sur le marché du travail, et s’inscrit dans le corpus idéologique qui a inspiré toutes les contre-réformes de ces dernières années.
La première victime sera le code du travail, protection de plus en plus illusoire pour des salariés toujours plus précaires.
Qu’est-ce que le CPE ?
Le CPE a été créé pour les jeunes de moins de 26 ans et peut être utilisé dans les entreprises de plus de 20 salariés.
Ce contrat est à durée indéterminée, mais il prévoit une période d’essai de deux ans pendant laquelle l’employeur pourra licencier le salarié à tout moment et sans motif [1].
Le licenciement sans motif est une arme redoutable contre les droits des salariés qui pourront craindre d’être licenciés après avoir été malades, après avoir demandé le paiement de leurs heures supplémentaires, le respect de leur durée du travail, ou de leur salaire.
Par ailleurs en cas de licenciement lors des deux premières années, l’indemnité de licenciement (8% des sommes perçues) est inférieure à celle prévue pour les contrats à durée déterminée (CDD) (soit 10%). De même, l’allocation chômage n’est que de 17 euros supérieure au RMI, elle est versée pendant 2 mois pour le salarié en CPE, s’il est licencié après au moins 4 mois d’activité.
Tous les salariés seront, à terme, concernés
Le CPE n’est pas une réforme isolée dans l’agenda du gouvernement, mais s’insère avec beaucoup de cohérence dans un ensemble de mesures et de réformes qui tendent à fragiliser les droits des salariés et à démanteler le droit du travail.
- janvier 2005 : « Loi Borloo » de programmation pour la cohésion sociale [2] qui prévoit "l’assouplissement" des licenciements économiques.
- août 2005 : mise en place du contrat "nouvelles embauches" [3] (CNE) qui concerne les petites entreprises de moins de 20 salariés. Le CNE déroge, pendant ces deux premières années, aux règles habituelles du code du travail et particulièrement à celles relatives au licenciement dont il simplifie considérablement la procédure. Ce contrat permet donc de contourner pendant deux ans le recrutement en contrat à durée indeterminé (CDI).
- février 2006 : mise en place d’un système d’apprentissage à partir de 14 ans et ouverture au travail de nuit à partir de 15 ans pour de nombreux apprentis [4].
- février 2006 : mise en place du contrat "première embauche" (CPE) qui reprend les caractéristiques principales du CNE.
- Et maintenant ?
- Le gouvernement a d’ores et déjà annoncé la création par décret d’un "CDD senior" présenté comme un contrat de dix-huit mois renouvelable une fois, destiné aux 57 ans et plus en recherche d’emploi depuis au moins trois mois [5].
- Le gouvernement envisage la création d’un « contrat unique » réclamé par le patronat et inspiré du CNE et du CPE [6].
La mise en place de ces contrats relève d’une logique implacable :
– Ces contrats concernent dans un premier temps les salariés les plus fragiles, connaissant un taux de chômage important (les salariés en début ou en fin de vie professionnelle), ou dans les secteurs où la syndicalisation est faible (les entreprises de moins de 20 salariés).
– Ces contrats mettent en concurrence les salariés les uns avec les autres et incitent les entreprises à profiter d’effets d’aubaine [7] et à remplacer les CDI par des contrats moins protecteurs plutôt qu’à créer de l’emploi.
– Lorsque la mise en place de ces contrats de type CNE, CPE ou « CDD Senior » aura fragilisé l’emploi des autres salariés [8], ceux-ci seront généralisés par la mise en place d’un « contrat unique ».
Il s’agit d’une logique libérale dont le coût social sera énorme en terme de droits et de conditions de travail. Cette logique impose au salarié une flexibilité sans sécurité.
Les salariés de la fonction publique sont aussi concernés par ces réformes
À terme, ces "réformes" concernent les salariés du privé comme ceux du public
Les réformes en cours concernent les emplois de droit privé, cependant il serait naïf de penser que les salariés de la fonction publique ne seront pas concernés à terme.
D’une part les missions de service public sont de plus en plus souvent déléguées à des entreprises privées dont les salariés sont directement concernés par ces réformes. D’autre part, au sein même de la fonction publique, les entreprises publiques et les administrations embauchent, à côté de personnel à statut (fonctionnaires ou assimilés), du personnel en contrat de droit privé, souvent en situation de précarité.
Enfin, les récentes réformes ont démontré que le sort des salariés de la fonction publique était solidairement lié à celui des salariés du secteur privé.
Ainsi, la réforme des retraites mise en place par le gouvernement d’Edouard Balladur en 1993 ne concernait que les salariés du secteur privé. Cependant, elle a permis dix ans plus tard de justifier la réforme des retraites des fonctionnaires par le gouvernement Raffarin au nom de « l’équité ». L’écart entre les deux réformes a, bien évidemment, été un des obstacles à une mobilisation conjointe de tous les salariés.
C’est pourquoi, la mise en place de contrats de travail au rabais annonce à terme la remise en cause du statut des fonctionnaires qui apparaîtront nécessairement comme "scandaleusement protégés et privilégiés" lorsque les salariés du privé auront été massivement précarisés.
Ne soyons pas dupes : si nous laissons faire aujourd’hui, nous serons tous pris dans l’étau de la précarisation demain.
La précarité au quotidien
La précarité a sensiblement augmenté depuis 1990, y compris dans les services publics [9]. Celle-ci a et aura des répercussions sur la vie professionnelle et personnelle des salariés. La possibilité donnée par le CPE à l’employeur de licencier pendant les deux premières années sans motif est une nouvelle arme contre ceux-ci.
Une vie professionnelle sous pression : la fabrique de salariés soumis
Comment faire valoir ses droits lorsque l’employeur peut vous licencier sans motif ? Comment refuser de faire des heures supplémentaires ou de voir modifier ses attributions ? Il est certain que toutes les modifications proposées par l’employeur (sur la base du volontariat, bien sûr...) seront acceptées par des salariés placés pendant deux ans sur un siège éjectable...
Qui osera encore demander le paiement de ses heures supplémentaires, le respect de la durée du travail, un salaire correspondant à sa qualification ou une augmentation de salaire ? Qui osera simplement se syndiquer ? Il y a fort à parier que le salarié qui peut être licencié à tout moment et sans motif cherchera à atteindre la fin des deux ans d’essai avant de prendre une quelconque posture revendicative...
Enfin, si les femmes enceintes, les employés malades, etc. ne pourront être licenciés en raison de leur état, ces employés pourront être licenciés comme les autres, c’est-à-dire sans justification. La porte est ouverte à tous les abus et à toutes les discriminations...
Une vie personnelle incertaine
Les contrats de type CNE ou CPE interdisent au salarié de faire des projets à long terme puisqu’il peut être licencié sans motif.
Logement, accès à l’emprunt, assurance de garder un emploi permettant son remboursement, désir pour le jeune salarié de s’installer indépendamment de ses parents ou de fonder une famille, comment se projeter dans l’avenir avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ?
En accord avec les dogmes du libéralisme économique, la prise de risque, l’incertitude et leurs conséquences reposent sur l’individu...
Pourtant, comme l’indique Gérard Filoche dans son communiqué anti-CPE N°2, publié sur le site de Démocratie & Socialisme :
"(...) depuis l’aube des temps, les humains luttent contre la précarité de leur vie, ils ont inventé l’agriculture pour lutter contre la précarité de la cueillette, ils ont inventé l’élevage pour lutter contre la précarité de la chasse, ils ont lutte contre le froid, la faim, la souffrance, ils ont lutté en tout pour que leur vie soit moins précaire (...)."