Élections régionales, pourcentages et analyses

, par Benjamin W. Shevek

Analyser les résultats des élections en utilisant les pourcentages des votes exprimés nous égare plus qu’autre chose.

Ainsi, je vois passer des liens qui semblent imputer un vote massif FN aux jeunes ou aux non-diplômés (ce qui réconforte les vieux diplômés sur le fait que les jeunes sans diplômes sont définitivement des cons), analyses sans aucun recul sur les chiffres manipulés et au risque du contresens complet.

Des pourcentages trompeurs

Prenons un exemple. Soient les Shadoks et les Gibis. Prenons-en 10 de chaque. Chez les Shadoks, 7 sont inscrits sur les listes électorales, 5 vont voter et 3 expriment un vote pour Gégène. Chez les Gibis, tous sont inscrits, 8 vont voter et 4 votent pour Gégène.

Il apparaît donc clairement que les Gibis votent plus Gégène que les Shadoks (4>3). Et pourtant, si vous raisonnez à partir des pourcentages des votes exprimés, vous parviendrez à la conclusion inverse que les Shadoks (3/5=60%) ont plus voté Gégène que les Gibis (4/8=50%).

Et c’est ainsi qu’un grand nombre de commentaires post-électoraux sont juste… faux.

Analyser sur des pourcentages de votes exprimés invisibilisent les mouvements majoritaires

Depuis hier soir, c’est "le choc". En effet, on avait complètement perdu l’habitude de retrouver dans les urnes les résultats annoncés par les sondages depuis des mois. Autre surprise de taille, le PS s’est pris une branlée : et oui, ce n’est pas comme s’ils avaient récemment perdu les municipales, les européennes, les départementales et toute crédibilité, hein…

Alors, trois pistes de réflexion : vous en ferez ce que vous voudrez…

1/ Le FN n’est pas le premier parti de France. Nan. C’est le PNE (Parti des Non-Exprimés qui regroupe abstentionnistes, blancs et nuls). Ils représentent 52% des inscrits. En effet, calculer les pourcentages sur les inscrits (il faudrait même intégrer les non-inscrits mais je n’ai pas les chiffres) permet de remettre les choses à leur juste place. Le FN a intérêt à avoir une gestion convaincante des régions car il n’est porté que par 13,4% des inscrits. La Droite dans son ensemble n’a séduit que 15,2% des inscrits. Le parti gouvernemental et ses alliés sont soutenus par 12,1% des inscrits. La Gauche non ralliée au PS végète à 5,9% des inscrits.

2/ Le FN progresse partout, sur l’ensemble du territoire, et d’après les enquêtes dans l’ensemble des secteurs de la population. L’Extrême-Droite s’installe, s’enracine : elle a gagné 3 655 767 voix depuis les dernières régionales, atteignant des scores lui promettant des basculements institutionnels en sa faveur, une prise de pouvoir réelle dans notre système politique et le FN impose à tous son agenda idéologique. MAIS. Depuis "le choc" de 2002, l’Extrême-Droite n’a gagné que 581 021 voix, soit une progression de 1,3 points (rapportés aux inscrits) alors que le pays a connu deux attentats historiques en 2015, et que depuis plus de dix ans tout concourre à son succès. Le score du FN lors de ces régionales (qui constituerait donc "un score sans précédent") est même inférieur de 368 590 voix à celui de Marine Le Pen en 2012 ! La société française résisterait-elle mieux qu’on ne le croit au vote xénophobe même si c’est par la passivité de la non-expression ?

3/ La Gauche est moribonde : elle a perdu 7 645 952 voix depuis 2012 (soit presque la moitié, 48%). Le PS qui mène avec constance une politique contre ses électeurs pense-t-il les faire revenir par un simple chantage au FN ? La Gauche de gauche se satisfera-t-elle de ses habituelles incantations quand la droitisation du PS lui ouvrait un boulevard qu’aucun électeur n’a emprunté ? Comme dit Philippe Marlière : « La gauche radicale française vit dans un entre-soi militant et idéologique, il n’est donc pas étonnant qu’on ne l’écoute pas. »