Le déposeur de bulletin dans l’urne, ce donneur de leçon

, par Benjamin W. Shevek

Les responsables de la situation ne sont pas les militant·es de gauche qu’ils s’abstiennent ou non. Les dirigeants politiques, et leurs soutiens, qui depuis 30 ans acclimatent dans leurs programmes et leurs discours les idées du FN, tout en menant des politiques néolibérales violentes, sont les seuls responsables.

Lorsqu’ils ont voté pour les TAFTA-CETA et contre les lois sur l’évasion fiscale, tu n’as rien dit (t’avais rendez-vous chez mon avocat fiscaliste concernant les exonérations d’impôts).

Lorsqu’ils ont ratifié le Traité de Lisbonne contre le vote démocratique du peuple français, tu n’as rien dit (les gens avaient mal voté, c’est tout).

Lorsqu’ils ont remis en cause le droit de grève (avec le service minimum notamment), droit-pour-lequel-des-gens-sont-morts, tu n’as rien dit (parce que les prises en otage, ça va bien).

Lorsqu’ils ont fragilisé les conditions de travail, précarisé les salariés, démantelé la médecine du travail et l’ensemble des services publics d’éducation et de santé, tu n’as rien dit (parce qu’il faut que la France soit compétitive, n’est-il pas).

Lorsqu’ils ont utilisé l’état d’urgence pour limiter le droit de manifester (lors de la COP21 et dans certains centres-villes lors de la loi Travail), droit-pour-lequel-des-gens-sont-morts, tu n’as rien dit (c’était un peu la chienlit quand même).

Lorsqu’ils ont couvert les violences policières lors des manifestations, tu n’as rien dit (parce qu’il y a d’autres moyens de s’opposer, une pétition en ligne, par exemple).

Lorsqu’ils ont remis en cause les libertés fondamentales, assigné à résidence des militants, interdit à des soutiens aux migrants de s’exprimer dans la presse, à des militants antifascistes de manifester contre le FN, tu n’as rien dit (ces gens-là sont un peu radicaux, après tout).

Lorsqu’ils ont laissé s’installer la mainmise d’une poignée de milliardaires sur les médias et les forces de l’ordre violenter des journalistes les empêchant de faire leur travail, tu n’as rien dit (Ruth Elkrief n’a jamais mentionné ces faits, ce doit être des #fakenews).

Lorsqu’ils ont stigmatisé les musulmans avec la loi contre le voile, les affaires de burkinis, de bandanas et de jupes sombres trop longues, tu n’as rien dit (parce qu’il était écrit dans « Causeur » qu’il ne faut pas faire le jeu des idiots utiles de la prétendue islamophobie qui fait le jeu du FN).

Lorsqu’ils ont laissé impunies les bavures policières, notamment sur des personnes racisées, tu n’as rien dit (est-on bien sûr qu’ils n’avaient pas quelque chose à se reprocher, qui aurait mérité une matraque dans le cul, en définitive).

Lorsqu’ils ont mis des familles, des enfants, des bébés parfois, en centre de rétention, ou simplement mis des familles déboutées à la rue, tu n’as rien dit (parce que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde… aucune, en fait, d’après les dernières statistiques).

Lorsqu’ils ont repris la proposition du FN de déchéance de nationalité, tu n’as rien dit (parce que le bonapartisme républicain est le dernier rempart contre le FN).

Lorsque Le Pen a raflé la mise au 1er tour, tu es allé·e pourrir le mur Facebook d’un·e abstentionniste pour lui expliquer à quel point il·elle était irresponsable de ne pas aller voter, droit-pour-lequel-des-gens-sont-morts, et que c’était une honte de ne penser qu’à son confort de bobo-islamo-gauchiste sans prendre en compte le sort des immigré·es, des pauvres, des travailleur·euses, des militant·es, des minorités et des libertés fondamentales.
Et puis tu es retourné·e te coucher jusqu’aux prochaines élections, satisfait·e d’être du côté du Bien.

Lorsqu’ils sont venus te chercher, tu dormais (du coup).